Le 31 août 1970, Jimi Hendrix se produit au festival «pop» de l'île de Wight.
Il est 3 heures du matin, il fait froid, la foule est lasse.
C'est la dernière grande apparition publique du jeune homme: dix-huit jours plus tard,
il succombera à Londres d'un abus de divers cachets.
Pendant 55 minutes, trois caméras traquent Hendrix sous tous les angles. On ne voit jamais le public,
et à peine les deux tâcherons qui composent la section rythmique (Mitch Mitchell et Billy Cox).
On tient là un portrait cadré serré d'un condamné à mort.
Alors, évidemment, le spectateur ne peut s'empêcher de guetter tout au long du film de Murray
Lerner quelque image prémonitoire, quelque signe avant-coureur de la fin prochaine.
D'abord, on s'attend à rencontrer un Hendrix défoncé jusqu'à l'os. Mais non: le garçon (27 ans) est
lucide, un peu nerveux même. Quelque chose semble l'agacer, mais quoi? La sono qui flanche,
le retard pris par le concert? Sans doute, mais pas seulement. Le guitariste enquille mécaniquement
des morceaux rabâchés. Même sur Red House, il finit après tout de même quelques minutes passionnantes
par aligner des figures de blues très syndicales. Jimi houspille le public anglais. Avant de servir un
God Save the Queen à la sauce Star Spangled Banner à Woodstock», il dit: «Levez-vous et chantez. Et si
ça ne vous plaît pas, allez vous faire foutre!» Hendrix s'emmerde, il fait son boulot. Sauf peut-être
sur Voodoo Chile, qui ranime brièvement la flamme. A sa manière désinvolte, le gaucher enterre les
années 60. Il voulait passer à autre chose, rapportent les biographes. Il cherchait à se rapprocher
du jazz: une collaboration avec l'arrangeur Gil Evans était dans les tuyaux. Mais, pour l'heure, les
deux zozos qui l'accompagnent sont à la ramasse. Quatre ans de carrière fulgurante, moins de trois
semaines à vivre, et il en est là. Hendrix bâcle un dernier morceau, s'excuse «Merci d'avoir été si
patients. Un de ces jours, on réessaiera» , flanque sa guitare par terre et quitte la scène. Définitivement.